Les voies du changement sont impénétrables. Depuis 6 mois, nous constatons dans notre pays que le changement, cela peut être la continuité. A l’inverse, au Nicaragua, la continuité, cela peut être le changement. C’est l’un des enseignements à tirer de la réunion que nous avons eue aujourd’hui, avant-veille de notre retour vers Managua, avec le conseil municipal de Jalapa.
Pour l’occasion, Alicia Andino qui sera à partir du mois de janvier la nouvelle maire de la ville, était invitée à participer à ce conseil municipal extraordinaire. Cela a été tout à la fois l’occasion d’une passation de pouvoir, quand bien même la passation officielle n’aura lieu que dans un mois et demi, mais aussi de transmission du lien. C’est un petit peu comme si Orlando Zeledon, celui qui est encore maire de Jalapa pour quelques semaines, confiait à sa successeur un bien précieux en lui remettant les clefs du jumelage avec Champigny.
Je ne voudrais pas qu’on s’y méprenne : derrière le lyrisme apparait le constat de l’importance du rapport qui lie nos deux villes. Pour les jalapenos, l’engagement de Champigny permet bien sûr de répondre pour partie à l’immense détresse de ceux qui vivent dans les communautés les plus précaires. Pour ceux là, qui sont souvent ceux qui sont dans le plus grand dénuement, rejetés loin des commodités, sur des terrains escarpés et/ou inondables, l’appui de Champigny sur des projets de reconstruction ou d’accès à la santé et à l’éducation est un réconfort considérable. Très largement insuffisant certes. Mais pour certains d’entre eux décisif.
Mais l’autre vertu du jumelage, c’est le regard extérieur qui est porté sur Jalapa et le Nicaragua. Il y a une grande fierté dans les mots et les yeux des jalapenos que nous avons croisés lorsqu’ils constatent qu’à 10.000 kilomètres de chez eux, leur vie est aussi une préoccupation, que leur pays est pour d’autres source d’enrichissement culturel, que le « poder ciudadano » est une source de réflexion à laquelle nous puisons pour faire germer la révolution citoyenne. Voilà aussi pourquoi la venue d’une délégation marque tant les esprits. Dans ces conditions, on comprend mieux la signification que revêt l’affirmation que nous avons renouvelée de l’engagement de Champigny-sur-Marne auprès de sa ville sœur.
Mais après les élections municipales qui se sont déroulées début novembre, la continuité dans ce jumelage est aussi une continuité politique. Alicia Andino, comme Orlando Zeledon, est issue du FSLN, le front sandiniste de libération nationale. La direction du FSLN a choisi, à l’occasion de ce scrutin, d’imposer une très forte représentation de femmes parmi ses candidats. Un tel choix se traduit concrètement par l’arrivée aux responsabilités non seulement de femmes, mais aussi mécaniquement d’une nouvelle génération. C’est quand même autre chose que nos petits barons locaux qui revendiquent lors de leurs campagnes électorales le non-cumul des mandats pour refuser de se l’appliquer une fois élus !
Bien sûr, nous avons eu peu d’échos de cette élection en France. Ceux là même qui, à coup d’éditoriaux et de pseudo-reportages, se fourvoient dans leur dénonciation éhontée de la révolution bolivarienne et des vagues populaires qui ont porté l’Autre gauche au pouvoir dans une grande partie de l’Amérique du Sud, préfèrent se taire concernant le Nicaragua. De fait, ils n’arrivent pas à construire le « story telling » de leurs habituels mensonges au service de l’oligarchie : les élections ne souffrent d’aucune contestation, la presse d’opposition est quasi hégémonique, il n’y a aucun prisonnier politique….Rien finalement de bien différent des cibles que constituent par exemple le Venezuela ou l’Equateur. Mais ici, l’oligarchie a été préalablement fragmentée et son retour au pouvoir entre 1990 et 2006 avant d’être battue puis écrasée lors des dernières élections, l’oblige à reconnaitre la validité des scrutins et l’ancrage populaire des sandinistes. Plus encore, beaucoup de membres de l’opposition rejoignent aujourd’hui les sandinistes dans les exécutifs locaux, forcés de constater les progrès réalisés. Nous ne devons pas non plus être naïfs. Si le Nicaragua n’est pas dans la ligne de mire de l’oligarchie comme peut l’être le Venezuela, c’est qu’il est moins riche en ressources naturelles soustraites à la voracité de la finance. C’est aussi qu’il ne s’affiche pas comme l’un des chefs de file de l’Autre gauche mondiale qui est en train de se lever et qui à ce titre prouve par l’exemple qu’un autre modèle est possible.
Pourtant, cette élection clôt un cycle électoral qui a vu la confirmation de Daniel Ortega au pouvoir et l’arrivée des sandinistes aux responsabilités dans la plupart des cadres institutionnels. En 2006, après les jeux d’alliances évoqués dans une précédente note, le FSLN s’était inscrit dans une politique de réconciliation nationale qui, en lui permettant de revenir sur le devant de la scène, lui avait aussi pour partie lié les mains. Aujourd’hui, la donne a changé. Le FSLN peut mettre en œuvre une autre politique puisqu’il possède à lui seul la majorité. C’est sur cela qu’il devra être jugé. Pour l’instant, force est de constater qu’il demeure prudent et que les concessions idéologiques concédées par le passé pèsent encore.
Mais cette deuxième phase du « sandinisme récent » a malgré tout dès à présent engagé des ruptures majeures, notamment sur l’éducation, la santé, et en lançant un vaste plan d’éradication de la pauvreté. Elle est aussi l’occasion d’approfondir la dynamique citoyenne qui a vu le jour au niveau des conseils de communautés qui permettent l’implication des habitants sur ce qui les concerne au plus près. Désormais, c’est la question de la verticalité qui se pose au FSLN, ou comment permettre l’implication populaire sur des enjeux et compétences qui engagent plus largement les citoyens et au final l’ensemble du peuple. Ce n’est pas le moindre des défis et le mouvement enclenché pour y parvenir doit être regardé avec la plus extrême attention. Voilà des ruptures avec les logiques libérales et les cadres institutionnels issus de l’ordre ancien qui peuvent être engagées, fut-ce dans une continuité politique.
Le changement peut être un masque quand il est en fait continuité. La continuité un changement pour peu qu’elle marque un approfondissement pour rompre avec la toute puissance de la finance et ses cadres pré-établis. Voilà un nouvel enseignement que nous apprend l’expérience nicaraguayenne.