Macron

Un quart des maires élus avec plus de 50% d’abstention, plus de 500 d’entre-eux qui n’ont recueilli qu’autour de 15% du corps électoral ! Alors que se profile le second tour des municipales pour justifier le maintien du premier qui avait été absurdement imposé, l’ampleur du désastre démocratique constaté à cette occasion se révèle par les chiffres.

On avait jusqu’alors noté que l’abstention avait explosé lors du 1er tour, pour atteindre 55,25%, soit près de 20 points de plus que lors de la précédente élection municipale. Notons que ce niveau est effectivement hors norme pour une municipale : l’abstention était de 36% au 1er tour en 2014, 33%, en 2008, 32% en 2001, 30% en 1995, 27% en 1989, 21% en 1983… Mais remarquons toutefois qu’il suit une dynamique de l’abstention qui allait s’accentuant, y compris lors des municipales. Notons encore que cette abstention se situe un peu au dessus de l’abstention constatée un an auparavant lors des européennes (49,8%) et au niveau stratosphérique enregistré lors des dernières élections législatives de 2017 (51% puis 57% au 1er puis second tour). Autrement dit on observe, pour ce premier tour et en tant que scrutin municipal, tout à la fois une continuité et une rupture exacerbée par les conditions dans lesquelles il s’est tenu, mais aussi une homogénéisation de la participation lors des trois dernières élections auxquelles ont été appelés les Français avec plus de la moitié d’entre eux qui n’y participent pas. Voilà pour le regard macro.

Abstension massive : la perte de légitimité de Macron

Le caractère massif des cas individuels est lui plus performatif encore et donne à voir de manière concrète la perte de légitimité qui s’opère dans l’élection : dans le quart des communes en France (plus de 8800), les maires ont été élus avec plus de 50% d’abstention nous révèle un article du Monde ; plus de 500 d’entre eux avec une abstention supérieure à 70% et donc bien souvent avec à peine 15% du corps électoral qui s’est prononcé en leur faveur. C’est le cas pour l’élection de Gérald Darmanin à Tourcoing (15% des inscrits) ou Franck Riester à Coulommiers (17% des inscrits). Là encore, le socle des électeurs qui se sont prononcés en faveur du candidat élu rejoint ce qui était il y a peu encore l’exception qui annonçait la règle à venir.

J’invite pour cela à garder en tête ce taux famélique de 15% du corps électoral. Ces 15% des inscrits n’auraient en aucune façon permis de l’emporter au scrutin majoritaire il y a quelques années. Ce n’était bien sûr pas le cas aux précédentes municipales eu égard à la participation rappelée précédemment. Cela ne l’était pas plus sur les autres scrutins. J’ai traité dans mon livre L’impératif démocratique de l’érosion de la participation et de la grève civique : avec 70% de participation comme aux législatives de 1993 ou encore près de 60% comme en 2017, les élus au premier tour pouvaient se targuer d’avoir recueilli l’assentiment d’au moins 30 à 35 % du corps électoral. On voit qu’en 2017, ce niveau dégringole. Les députés peuvent pour la plupart s’enorgueillir d’avoir obtenu les suffrages d’entre 15 et 20% des inscrits, pas plus pour ceux élus au premier tour dans des circonscriptions à forte abstention.

On rejoint là quasiment les modèles des élections partielles. En février 2018, je traitais déjà de l’abstention constatée lors des premières législatives partielles du quinquennat Macron et je la mettais en regard de l’abstention passée pour ce type d’élection dans cet article. J’y notais que pour les huit premiers mois du quinquennat Macron, l’abstention était de 75,1 % là où lors des quatre élections législatives partielles qui se sont déroulées en France métropolitaine durant la première année du mandat de François Hollande, l’abstention était en moyenne de 62,7%. Lors des douze premiers mois d’exercice de Nicolas Sarkozy, quatre partielles ont là aussi eu lieu avec une abstention moyenne s’élevant à 65,9%. Quant à la période Chirac, histoire de commencer avec le début de ce siècle, l’abstention moyenne atteignait 61,1 % sur six partielles. Bref, pour ces partielles, ce 15% du corps électoral était déjà devenu une valeur refuge.

On voit que le modèle des partielles se généralise aux élections classiques. Ce même 15% du corps électoral est devenu courant pour consacrer une élection à l’occasion du premier tour des municipales. Autrement dit les phénomènes exceptionnels définiraient-ils une nouvelle norme ? Non doit on immédiatement répondre tant ces municipales se sont déroulées dans un contexte spécifique. Dont acte. Pour autant, en entérinant ce résultat en connaissance de cause des biais démocratiques du scrutin et du fait que 4 électeurs sur 10 disent s’être abstenus « par peur du coronavirus », Emmanuel Macron consacre le fait minoritaire. Et Patrick Roger de s’interroger dans l’article du Monde:

« Ce scrutin, de fait, pose la question du fait majoritaire et de la légitimité des équipes municipales installées dans ces conditions, dans une période qui risque d’appeler de lourdes décisions. La démocratie s’en trouve fragilisée ».


Le fait majoritaire et la légitimité ! Nous y voilà et il est heureux de constater que les idées font leur chemin y compris chez les bien-pensants. Le mouvement des Gilets Jaunes a en effet donné à voir justement ce hiatus de légitimité entre la légitimité conférée par l’élection et la légitimité populaire à laquelle s’accorde le consentement.

La souveraineté du peuple, parce que permanente et inaliénable, se revendique d’autant plus comme telle que le fait majoritaire disparaît. Or ce que Patrick Roger interroge est déjà dépassé. Le fait majoritaire a été balayé non seulement dans le scrutin mais jusque dans le fonctionnement institutionnel qui justement devait veiller à le compenser.

Dans L’impératif démocratique , j’ai étudié la situation au sein de l’Union européenne et je constate que s’est installé ce que j’appelle la « démocratie minoritaire » puisqu’un gouvernement sur deux ne bénéficie non seulement plus du soutien majoritaire de sa population mais qu’il se retrouve même minoritaire au sein de son propre parlement national ! Il faut donc comprendre que l’acceptation du fait minoritaire est un choix systémique.

Il s’impose aux gouvernants qui veulent passer en force par-dessus le rejet populaire et le refus des citoyens de leur « déléguer » la décision. Voilà pourquoi le choix d’Emmanuel Macron de valider l’élection sous cette forme s’inscrit en cohérence pleine et entière avec le basculement dans l’ordre a-démocratique auquel il souscrit.

Une élection qui aurait dû être repoussée?

élection législative 2022 France

La tenue puis la validation des élections municipales par Emmanuel Macron, et en attendant les réponses du Conseil constitutionnel aux recours en annulation qui lui ont été transmis, relève d’un enfermement volontaire dans le déni démocratique. Le président ne se contente pas d’entériner une élection, il valide un process de gouvernance disjoint de l’expression populaire majoritaire. Il serait naïf de croire que ce sont seulement les circonstances qui s’imposent à lui car il a assurément lui aussi constaté que si 40% des abstentionnistes disent l’avoir été par peur du coronavirus, 33% disent l’avoir assumé parce que « les élections ne changent rien à la vie quotidienne ». Avant même l’ubuesque second tour, ces municipales resteront donc marquées comme la revendication par le pouvoir en place d’un fonctionnement institutionnel où les citoyens ne sont plus que des faire-valoir.

François Cocq

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